A la suite de votre communiqué en date du 07 février 2025, nous avons appris le décès de l’une des 14 personnes condamnées dans l’audience des assises du 03 février 2025. Il s’agit du Feu Monsieur KARROU WAWIM. Dans le communiqué, vous avez relevé qu’il était absent au procès à cause de son état de santé.
- Quelle est votre appréhension par rapport à cette situation?
Effectivement l’état de santé du Feu Monsieur KARROU dû aux mauvaises conditions de détention était connu et a fait l’objet de plusieurs plaidoyers des organisations de la société civile à l’endroit de l’Etat togolais. Le CACIT suivait de près l’état de sa santé et était en discussion avec l’un de ses conseils pour voir les mesures idoines à prendre en vue de lui assurer une meilleure prise en charge. Ce fut un vrai choc pour nous en tant qu’organisation de défense des droits humains d’avoir appris la mort de M. WAWIM.
2. Pourquoi parlez-vous de Choc ?
Il est important de rappeler que le décès de Monsieur KARROU n’est pas un cas isolé. En effet, le CACIT et bien d’autres organisations ont fait cas du décès d’autres personnes en détention ces dernières années, notamment les personnes détenues en lien avec la situation socio-politique, dont Monsieur KARROU.
Dans nos plaidoyers, portés notamment avec l’OMCT et le WANEP Togo, notre organisation a toujours insisté sur la nécessité de trouver des pistes favorisant la libération de ces personnes. Cette position du CACIT et de ses partenaires a été de nouveau affirmée dans le communiqué du 07 février 2025. Dans ses analyses, le CACIT a toujours soutenu, qu’au regard des mauvaises conditions de détention et de leurs conséquences sur la santé et la vie des détenus, cette voie était l’une des meilleures options. En effet, le CACIT estime que ces personnes ne sont pas des «délinquants» dont la société devrait avoir peur. Elles ont à un moment donné de leur vie fait usage de leur droit à la liberté d’expression et d’opinion.
Si par ailleurs, des faits leur sont reprochés par la justice, il n’en demeure pas moins qu’il faut penser à leur dignité et à leur humanité. Or, en l’état actuel des choses, les conditions de détention sont déshumanisantes pour les personnes détenues. Pour preuve le décès de ces personnes dont les conséquences sur des familles sont irréparables.
3. Pouvez-vous nous donner des précisions sur les conditions de détention?
La situation carcérale au Togo est préoccupante et constitue un enjeu majeur en matière de droits humains. Nos enquêtes et rapports, ainsi que les témoignages des détenus et de leurs familles, révèlent des conditions de détention extrêmement difficiles. Les prisons togolaises souffrent d’une surpopulation chronique, avec parfois trois à quatre fois plus de détenus que leur capacité initiale. Cette promiscuité entraîne des conditions de vie dégradantes, propices à la propagation des maladies et à la détérioration de la santé des prisonniers.
L’accès aux soins médicaux est également une problématique majeure. De nombreux détenus souffrent de maladies graves sans recevoir de prise en charge adéquate, ce qui a malheureusement conduit à des décès en détention. Tout en faisant l’économie des détails, les agents pénitentiaires sont eux-mêmes parfois dépassés par le manque de moyens adéquats pour garantir la santé et le droit à la justice des détenus. Somme toute, le ministre de la justice a, dans une récente sortie, reconnu les mauvaises conditions de détention. Cette reconnaissance est pour nous un gage que les réflexions aboutiront à des actions concrètes en faveur de l’amélioration des conditions de détention.
En outre, nous déplorons la lenteur dans le système judiciaire qui maintient des personnes en détention provisoire prolongée, sans jugement, pendant plusieurs mois voire plusieurs années.
4. D’après certaines publications, le travail obligatoire des détenus serait une des solutions pour assurer la rééducation et la réinsertion. Que pouvez-vous dire face à cette affirmation?
Nous pensons que cette publication fait référence au cas du Bénin qui comme le Togo et bien d’autres pays connaissent la surpopulation carcérale et ses conséquences sur la vie des détenus. En vue de lutter contre la surpopulation carcérale, une bonne préparation à la réinsertion est sans nul doute une des solutions. Toutefois, en nous référant aux informations dont nous disposons sur les conditions de détention au Togo, la mise en application de ces mesures appelle à la garantie d’un certain nombre de préalables. Il suffit de se rendre compte de l’état dans lequel les détenus dorment, sont nourris et sont soignés, par exemple, pour comprendre qu’un travail sérieux doit être fait en matière de détention avant de prétendre à instaurer un travail obligatoire. Imaginez un détenu qui a à peine de l’espace pour poser sa tête, aller travailler et revenir dormir dans ces conditions. Ou encore, ce détenu à cause du travail tombe malade, nous doutons fort que des conditions de traitement puissent garantir une prise en charge sanitaire adéquate.
En clair, il faut que l’Etat pense à des réformes structurelles et à des solutions globales et durables pour s’assurer de l’efficacité des initiatives qui seront prises pour garantir une meilleure jouissance des droits des détenus et une réinsertion réussie. Au moment où le code de procédure pénale que nous attendons de tous nos vœux est en cours de finalisation, nous espérons que des mesures innovantes seront prises en compte dans la gestion du système pénitentiaire. Le CACIT et l’OMCT avec l’appui financier de l’Union Européenne et l’accompagnement de la DAPR avaient par exemple initié un hackathon avec des jeunes techniciens qui a révélé que des solutions numériques peuvent aussi contribuer à l’amélioration des conditions de détention et de réinsertion. A l’instar de la digitalisation de l’administration entamée par le gouvernement, ces solutions numériques peuvent également contribuer à la lutte contre la corruption en détention.
En dehors des partenaires techniques et financiers traditionnels, une réflexion autour d’un partenariat public-privé dans l’administration pénitentiaire est aussi une piste sérieuse à explorer.
5. Votre mot de fin
Rappelant notre communiqué du 07 février 2025, nous plaidions pour la grâce présidentielle aux personnes condamnées dans le cadre des affaires en lien avec la situation socio-politique ou tout du moins leur accorder la liberté conditionnelle si celles-ci en font la demande. En ce qui concerne celles qui ne sont pas encore jugées, les décès enregistrés nous amènent à recommander une liberté provisoire. Le CACIT reste disponible pour accompagner les autorités togolaises en vue de trouver les voies et moyens devant garantir le respect des droits des détenus. Nous portons à notre réflexion cette citation de Nelson Mandela qui dit: «Personne ne peut prétendre connaitre vraiment une nation, à moins d’avoir vu l’intérieur de ses prisons. Une nation ne doit pas être jugée selon la manière dont elle traite ses citoyens les plus éminents, mais ses citoyens les plus faibles.»
Interview accordée par le Directeur Exécutif du CACIT, Ghislain Koffi Dodji NYAKU
Lomé, le 14 février 2025